Banj Media, est un média inclusif et alternatif qui s’adresse aux générations connectées. À travers nos missions, nous nous engageons à fournir à notre public des informations, des analyses, des opinions et des contenus captivants qui reflètent la diversité et les intérêts de la jeunesse haïtienne.
Comprendre le Pica : un trouble psychologique méconnue en Haïti
Les Troubles du Comportement Alimentaire ( TCA) sont nombreux et touchent toute catégorie de personnes. Le pica qui est une maladie qui altère la conduite alimentaire, considéré comme un TCA, touche plusieurs personnes à travers le monde et même en Haïti.
Les troubles des conduites alimentaires encore appelés troubles du comportement alimentaire désignent une perturbation du comportement lié à l’alimentation. Ce sont donc des désordres complexes, principalement caractérisés par des habitudes alimentaires anormales. Parmi les troubles du comportement alimentaire les plus connus il y a la boulimie, l'anorexie entre autres. Cependant il existe certains troubles peu connus mais assez courants tel que le pica dont sont atteintes plusieurs personnes en Haïti.
Dans le DSM V "Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders", qui est le manuel de référence dans le diagnostic des troubles mentaux, le pica est classé parmi les troubles du comportement alimentaire. Il se caractérise par l'ingestion répétée et avec persistance de substances non comestibles et non nutritives pendant au moins un mois. Ce trouble n’est pas diagnostiqué chez les enfants de moins de 2 ans, puisqu'à cette âge, consommer des substances non comestibles n’est pas considéré comme étant anormal compte tenu du fait que l'enfant a tendance à tout porter à la bouche durant cette période et ne distingue pas encore les aliments de ceux qui ne le sont pas.
Provenance du Pica
Peu d’études sont menées sur le syndrome de Pica. La communauté scientifique ne connaît pas à l'heure actuelle, tous les facteurs pouvant être à l'origine de ce trouble du comportement alimentaire. Toutefois, il a été prouvé que le pica est lié à certains troubles psychologiques et/ou psychiatriques tels que l'autisme, la schizophrénie, la dépression, l'anxiété, le manque affectif entre autres. Une carence en minéraux, en fer peut aussi déclencher ce trouble. De plus, lors d'une grossesse, certaines femmes ont aussi tendance à développer ce syndrome.
Le pica, une maladie qui fait manger de tout.
Les personnes souffrant de pica ingèrent diverses sortes de non-aliment tels que des cheveux, de la terre, de la craie, du papier, du sable, de l'argile, du bois, du charbon, du savon et même de la matière fécale certaines fois.
Jeune fille de 22 ans, Lara Kernizan elle, c'est à la consommation d'éponge qu'elle se livre. L'ancienne consommatrice de papier et de fil nous raconte qu'elle vit avec ce trouble depuis l'âge de trois ans environ. Depuis sa petite enfance, Lara consomme de l'éponge sans jamais pouvoir arrêter, tout en sachant que c'était mauvais, dit-elle. Parmi tout ce que Lara consomme, elle a une préférence pour les éponges.
Craie, papier, fil, éponge et roche c'est ce que Lara mangeait étant enfant. Le trouble n'étant pas disparu au cours des années, Lara consomme toujours de l'éponge mais prend également de la nourriture non cuite pour compenser ses manques quand il lui est impossible de trouver des éponges.
Une envie irrésistible de manger des éléments non nutritifs
Les personnes atteintes de pica ne consomment pas des substances non comestibles parce qu'elles le veulent, mais parce qu'elles ne peuvent résister à leurs pulsions. Il leur est difficile d'y mettre fin de leur plein gré. “Je n'arrive pas à m'en passer. C'est devenu une obsession pour moi, comme une drogue. Dès que je ne trouve pas d'éponge ou de nourriture à l'état cru tel que du riz, du maïs ou de l'avoine entre autres, je me sens mal. J'ai horreur de ces moments là. Et lorsqu'ils surviennent, je dois tout faire pour trouver quelque chose puisque cela impacte énormément sur mon humeur”, confirme Lara.
Le pica, un fardeau pour ceux qui en sont atteints.
"C'est pénible pour moi de vivre avec ça puisque je n'arrive pas à en parler aux gens de peur qu'ils ne me comprennent pas et me jugent. Et c'est déjà assez difficile pour moi de manger ses substances en présence de mes amis sans me faire remarquer", poursuit Lara.
Ce syndrome est porteur de nombreuses conséquences telles que des douleurs abdominales, des vomissements, de la constipation sévère, des obstructions dans le tube digestif, des intoxications par le plomb, des occlusions intestinales. Dépendamment de ce qui est ingéré, les dents peuvent s'abîmer. "Manger du riz cru me laisse parfois des douleurs au niveau des mandibules et des molaires. À force de mastiquer une trop grande quantité de riz j'ai parfois les gencives endommagées, la langue irritée. Ajoutez à cela, quand je mange beaucoup trop d'éponges j'ai de la diarrhée, et quand c'est du riz ou autres aliments crus, je suis constipée. Je suis toujours en proie à des nausées, des pertes considérables d'appétit. Mais cela ne m'empêche pas de continuer à en prendre", révèle Lara.
Traitements appropriés au pica
Il n'y a pas encore de traitements médicamenteux qui permettent de guérir du pica. Cependant, plusieurs modifications du comportement alimentaire sont utilisées pour soulager les personnes touchées par ce syndrome. Ces modifications consistent à aider en les réapprenant à manger petit à petit de "vrais" aliments. En ce sens, une stratégie est souvent utilisée pour soulager les personnes souffrant du syndrome de Pica, il s'agit de l’analyse comportementale appliquée plus connue sous le terme ABA "Applied Behavioral Analysis”. En somme, toutes solutions pouvant être appliquées à ce syndrome sont d'ordres psychothérapeutiques.
Il y a peu de statistiques concernant la population atteinte du syndrome de Pica, vu que peu de recherches sont menées sur cette maladie. Le film "Swallow" une réalisation de Carlo Mirabella-Davis, paru en 2020, permet de mieux comprendre ce trouble puisqu'il met en exergue ses particularités.
Pour conclure, le pica est bel et bien présent en Haïti. Plusieurs personnes comme Lara souffrent de ce trouble dans la société haïtienne. De ce fait, est-ce qu'il ne sera pas nécessaire pour qu'il y ait des programmes de sensibilisation et des prises en charge psychologique adaptés pour ces dernières ?
NB: Le nom cité est pseudos pour masquer l'identité de la personne qui a témoigné.
Bernard Cayo