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Dans sa chanson “Donnez le monde aux femmes", le chanteur Jean-Jean Roosevelt entend vanter les qualités de celles-ci. Lesquelles favoriseraient, selon lui, de meilleurs résultats que ceux du patriarcat. Toutefois, ce discours, quoique promouvant le leadership féminin, tend à reproduire des stéréotypes sexistes.
Depuis des milliards d'années, les hommes mènent le monde… C’est ainsi que Jean-Jean Roosevelt commence sa chanson qui clame : « Donnez le monde aux femmes ». Une demande qui paraît légitime quand on constate les résultats déplorables du patriarcat. Confier aux femmes le monde, selon le chanteur, favoriserait de meilleurs résultats puisque ces dernières sont dotées de qualités innées pour y arriver. Il les décrit comme des êtres habiles qui n’aiment pas la violence et des êtres sensibles qui luttent contre la souffrance. Ce discours rejoint, en fait, les représentations idéales-types et les stéréotypes sexistes dans des théories et modèles dominants de leadership. A titre d’exemple, Parsons et Bales font savoir que « le comportement masculin s'orienterait naturellement vers l’action, l’accomplissement et le leadership, tandis que le comportement féminin favoriserait l'expressivité, les émotions et le relationnel » (Descarries et Mathieu, 2010).
De tels préconçus tendent, d’une part, à favoriser le leadership féminin que, beaucoup l’espèrent, s’annonce différent. D’autre part, ils provoquent le rejet de ce leadership car selon certains, les femmes ne seraient pas destinées à devenir leaders. Toujours est-il que l’une ou l’autre tendance favorisent des discours sexistes. Pour sa part, ONU Femmes affirme que « les femmes sont sous-représentées aussi bien comme électrices que dans les fonctions dirigeantes, au sein des assemblées élues, dans l’administration publique ou encore dans le secteur privé ou le monde universitaire. Et ceci malgré leurs compétences maintes fois démontrées, en tant que leaders et agents du changement, et en dépit de leur droit de participer en toute égalité à la gouvernance démocratique ». Cela dit, il n’en est rien des égalités de chances. Les femmes ne cessent d'être victimisées dans la société en raison de positions inégales. Pourtant, les hommes jouissent naturellement, de leur côté, d’une position de domination.
L’autonomisation des femmes reste toutefois essentielle à la croissance économique et au progrès social. C’est pourquoi maintes pays s’adonnent à la discrimination positive. Il s’agit, selon Villenave Baptiste, d’ « une action qui vise à éliminer une inégalité passée ou actuelle subie par un groupe de personnes en lui accordant temporairement certains avantages préférentiels, notamment en matière de recrutement, par exemple par la mise en place de quotas ». A cet effet, des pays priorisent de plus en plus les femmes notamment dans les offres d’emploi afin de rétablir l’égalité. En Haïti, le principe du quota de 30% de femmes, à tous les postes de décision de la vie nationale, notamment dans les services publics, a été reconnu en 2012, dans l’article 17-1 de la Constitution amendée de 1987. Toutefois, la hausse de la représentativité des femmes laisse encore à désirer.
En fait, dans un rapport décrivant la situation des femmes en Haïti, publié en novembre 2017, UNFPA souligne que « les femmes reçoivent des salaires inférieurs à ceux des hommes, travaillent plus dans le secteur informel, sans droit à la sécurité sociale (55,9%), et sont moins représentées dans les emplois formels (30%) ». En effet, les femmes doivent confronter maintes barrières pour arriver à faire leur place. Certes, elles sont considérées comme le pilier de l’économie haïtienne. Cependant, leur travail se limite souvent au travail informel ou de service, et à l'écart des centres de décision. D’autant plus que la discrimination basée sur le genre les condamne souvent à des emplois précaires et mal remunérés et ne permet qu’à une faible minorité d’entre elles d’atteindre des postes élevés. Si la discrimination y est pour beaucoup, les autres barrières sont aussi à considérer.
Toujours dans le rapport de l’UNFPA, il est souligné que « le niveau d’éducation faible affecte les femmes de manière prédominante et est l’un des facteurs qui explique leur entrée précoce et sans qualification sur le marché du travail ». Pour la banque mondiale, « la fréquentation et la réussite scolaires des filles et des jeunes femmes sont largement déterminées par des facteurs spécifiques à leur condition : menstruation, charge des tâches ménagères qui pèsent sur la scolarité ou encore risques de harcèlement sexuel qui limitent la mobilité ». Ces mêmes barrières demeurent dans leur vie professionnelle. A ces dernières s’ajoutent, entre autres, les discriminations basées sur le genre qui les condamne à des emplois précaires et mal rémunérés. Néanmoins, la politique de discrimination positive utilisée pour y remédier ne fait pas l’unanimité.
Villenave Baptiste prévient que « certains pensent que c’est faire une injure aux personnes appartenant à des groupes défavorisés que de pratiquer une politique de discrimination positive, car on a l’impression d’une politique de charité, d’assistance, ce qui pousse ces populations à ne pas faire d’efforts pour s’intégrer par elles-mêmes ». Cependant, dans un entretien accordé au Nouvelliste en 2015, l’ex-coordonnateur général adjoint de l’Office de Management et des Ressources Humaines (OMRH), Antoine Verdier, avait déclaré que « c’est par l’intermédiaire de recrutement sur concours qu’on peut intégrer les femmes dans leur mise en application de la politique de féminisation de la fonction publique ». « A capacité égale entre homme et femme, on choisit la femme », a t-il informé. Ce qui renvoie à la discrimination positive visant à équilibrer le système et d’offrir plus de possibilités aux femmes. Il a aussi confié que « c’est par cet intermédiaire uniquement qu’on arrivera à un pourcentage de femmes réel dans la fonction publique haïtienne ».
En tout cas, si pour donner le monde aux femmes, il faudrait se baser sur les qualités de celles-ci, la discrimination ne ferait que se perpétuer. Certes, les femmes ont longtemps souffert d’inégalités dans presque tous les secteurs. Elles méritent de jouir de l’égalité des chances. Cependant, leur offrir des places par compassion ou par faveur ne résoudrait en rien les dégâts causés par le patriarcat. D’ailleurs, beaucoup sont dans l’administration privée et publique, dans le secteur politique, dans les postes directoires… Toutefois, leurs résultats ne sont pas moins décevants. Aussi, le souci doit toujours être que l’homme qu’il faut soit à la place qu’il faut. Quant aux femmes, elles doivent pouvoir accéder aux postes désirés sur base de mérite. Ainsi pourront-elles prouver leur compétence en atteignant des postes élévés, voire des centres de décision.
Leila JOSEPH