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La pauvreté tend à se féminiser de plus en plus, particulièrement en Haïti. Si le phénomène est fortement favorisé par les inégalités de genre, il découle aussi de facteurs importants rattachés aux réalités quotidiennes des femmes haïtiennes.
Alors que les femmes représentent la composante la plus importante de la société haïtienne, celles-ci sont toutefois les plus touchées par la pauvreté. Non seulement elles sont plus pauvres que les hommes mais leur pauvreté a aussi tendance à s'accroître. C’est ce qui renvoie à l'expression « féminisation de la pauvreté », définie par le Conseil de l’Europe le 26 juin 2007 qui désigne « la prédominance du nombre de femmes et d’enfants sur le nombre total de personnes pauvres ». Que ce soit à l’échelle nationale ou mondiale, divers facteurs peuvent expliquer les fortes probabilités des femmes à vivre sous le seuil de la pauvreté. Selon Emerance Ponlot, il s’agit de « leur rapport avec le marché du travail, leur rôle prédominant au sein d’un foyer, leurs difficultés rencontrées dans la conciliation entre la vie privée et professionnelle ainsi que leur pension de retraite insuffisante. De plus, les mères célibataires sont impactées plus sévèrement par l’ensemble de ces facteurs ».
La pauvreté renvoie, selon l’Institut Wallon de l’Evaluation, de la Prospective et de la Statistique (IWEPS), à « un état chronique ou récurrent de privation, absolue (par rapport à une norme) ou relative (par rapport à l'ensemble de la population) de certaines ressources ou de certaines capacités d’une unité sociale (individu, ménage ou groupe social) jugée insuffisamment importante pour que l'unité concernée soit considérée comme pauvre dans un contexte social donné ». En Haïti, la pauvreté est multi-dimensionnelle. Et, les causes peuvent aller des facteurs économiques aux facteurs sociaux et politiques, dont surtout les troubles politiques, les crises socio-économiques, les catastrophes naturelles et les épidémies. Toutefois, les femmes en particulier subissent davantage les conséquences de la pauvreté. Ce qui est dû notamment aux inégalités de genre.
Les héritages de la domination masculine et la socialisation primaire cloisonnent les femmes dans leur rôle familial et restreignent leur épanouissement professionnel. C’est ce qu’estime, en tout cas, Emmerance Ponlot. Il n’a sans doute pas tort car effectivement, « dans les anciennes croyances sociétales, le travail professionnel rémunéré était destiné à l’homme tandis que le travail domestique non rémunéré était attribué à la femme » . Une croyance qui tend à se transmettre dans nombre de familles et de religions comme le christianisme. D’une part, ces religions exhortent les femmes à s’occuper de leur foyer et de leur maison car “leur place ne serait qu'à la cuisine”. D'autre part, les familles considèrent que les femmes sont destinées à devenir épouses et mères. Aussi les apprennent-elles à s’occuper de leur corps, de leur maison, de leur (future) famille. On comprend donc mieux pourquoi, depuis l’introduction du tome 2 de son livre le deuxième sexe, Simone De Beauvoir parle de destin traditionnel des femmes. Dans ce schéma, les expériences professionnelles sont exclues, les femmes n’ayant pour souci premier que de se trouver un mari.
L’homme, fort souvent, est conçu comme chef de famille et pourvoyeur. C’est donc à lui d’entretenir sa femme et ses enfants. D’autant plus que les compétences intellectuelles et physiques des femmes ont longtemps été sous-estimées. Concilier devoirs maternels et activités professionnelles était donc inconcevable pour beaucoup. Ce faisant, peu de familles haïtiennes priorisaient l'éducation de leurs filles car leur réussite dépendait, selon elles, d’un mariage avec un homme assez “solide”. C’est au mari de travailler pour apporter le pain quotidien. Et, certaines femmes se heurtent à ces mêmes conceptions au foyer. Autrefois, elles devaient obtenir l’autorisation de leur mari pour exercer une activité professionnelle. Encore aujourd’hui, beaucoup, y compris des professionnelles de formation, ne travaillent pas sous l'interdiction de leur conjoint. Ce qui tend à favoriser la féminisation de la pauvreté. Quant aux femmes cheffes de ménage, elles sont les plus vulnérables. Nombreuses sont celles qui assument seules la prise en charge de leur famille sans pour autant disposer d’assez de revenus pour couvrir les dépenses. La plupart sont des mères célibataires. Les travaux domestiques entravent aussi souvent l’épanouissement professionnel des femmes, leur laissant peu de temps à y réserver.
En tout cas, si des femmes sont contraintes de ne pas travailler, le manque d’éducation y est certaines fois pour quelque chose. Selon l’analyse présentée par l’Institut Haïtien de Statistique et d’Informatique (IHSI) sur les conditions de vie des Haïtiens et Haïtiennes (Enquête sur les Conditions de Vie en Haïti, 2005), les femmes étant généralement moins scolarisées que les hommes, leur insertion est donc moins avantageuse sur le marché de l’emploi. Le Ministère de la Condition Féminine et des Femmes le rejoint. Dans son rapport de diagnostic des inégalités de genre (2012), il est révélé que « les hommes sont généralement plus éduqués que les femmes [..] En ce sens, elles ont un moindre accès à des opportunités d’emploi que les hommes, ceci à tous les âges. Et ce, malgré les efforts des institutions des administration public et privée à favoriser l’égalité des chances, notamment grace à la discrimination positive. Malheureusement, la lutte des femmes continue sur le marché du travail. Selon UNFPA Haïti, « la précarité de l'emploi est l’un des éléments qui a contribué à une féminisation de la pauvreté en Haïti, puisque les femmes reçoivent des salaires inférieurs à ceux des hommes, travaillent plus dans le secteur informel, sans droit à la sécurité sociale (55,9%), et sont moins représentées dans les emplois formels (30%) ».
Quoique des femmes arrivent à intégrer le marché du travail, les inégalités de genre demeurent considérables. On constate une certaine ségrégation du marché du travail. Les métiers dits féminins comme le commerce, le secrétariat, la couture, les sages-femmes, les aide ménagères, les aide-soignantes, l'enseignement maternelle et primaire, ont une forte concentration de femmes. Toutefois, quand ces dernières exercent un emploi formel, tant dans le secteur public que privé, elles ont très peu de possibilités de promotion, voire d’occuper des postes de direction. « L’administration publique compte ainsi 32,9 % de femmes contre 67,1 % d’hommes. Et les femmes représentent seulement 17 % des effectifs dans les tâches de conception et de direction alors que les hommes occupent 83 % de ces emplois. Elles occupent 30 % des postes de cadres intermédiaires alors que les hommes en occupent 70 %. Enfin, 32 % des agents de soutien de la fonction publique disposant d’un métier et 38 % des employés ne disposant d’aucune qualification sont des femmes » révèle l’Office de Management et des Ressources Humaines en 2014 dans un rapport sur le recensement des agents de la fonction publique.
Elles sont aussi souvent victimes d'inégalités au niveau des traitements et des salaires. Pourtant, les femmes participent à tous les secteurs d’activité et jouent un rôle considérable dans l'économie. Toujours est-il qu’elles sont peu représentées dans les filières économiques les plus rentables. Elles sont, en effet, surtout dans le secteur informel, sans pouvoir jouir des avantages sociaux et/ou de revenus stables. Et, les femmes peuvent difficilement obtenir des octrois de crédit.
En outre, si les femmes sont les plus pauvres, elles ont certainement leur pierre à poser dans la lutte contre la pauvreté. Toutefois, pour parvenir à s’autonomiser économiquement, les efforts des gouvernements ne suffisent pas. Certes, les lois sur la discrimination positive et l’égalité hommes/femmes quant au travail, aux salaires et à l’éducation sont importantes, ainsi que les efforts des institutions concernées. Cependant, les femmes doivent prendre en main leur avenir, notamment en surpassant les contraintes sociales, quitte à briser les stéréotypes et intégrer les opportunités de formation et d’emploi.
Leila JOSEPH