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Violences obstétricales et gynécologiques : ce que vivent certaines femmes lors d'un accouchement
En période de grossesse ou au cours de l'accouchement, beaucoup de femmes subissent des traitements inappropriés de la part de personnels de santé. Ces actes sont de plus en plus récurrents et ne sont pas souvent relatés.
L'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) dans une déclaration, fait savoir que de nombreuses femmes font l’expérience de traitements non respectueux et de mauvais traitements lors de l’accouchement en établissement de soins, et ceci, partout dans le monde. Ce genre de traitement constitue une menace à leurs droits à la vie, à la santé, à l’intégrité physique et à l’absence de discrimination, et constitue également une violation de leurs droits à des soins basés sur le respect. Ce type de comportement vis-à-vis des patientes fait référence au concept de violences obstétricales et gynécologiques.
Quelles sont les violences obstétricales et gynécologiques ?
Le concept de violences obstétricales et gynécologiques puise sa source en Amérique latine dans les milieux militants et scientifiques au début des années 2000. Selon Mounia El Kotni, anthropologue de la santé, ce terme est utilisé pour mettre l’accent sur un type de violences sexistes et sexuelles, qui se placent entre la violence de genre et la violence médicale. Les violences obstétricales sont souvent normalisées et décrites comme faisant tout simplement partie du processus de grossesse et d’accouchement. C'est une réalité préoccupante qui met en évidence les inégalités et les abus de pouvoir auxquels sont confrontées les femmes lors de l'accouchement.
Selon L'Institut de Recherche et d’Actions pour la Santé des Femmes, les violences obstétricales et gynécologiques sont « un ensemble de gestes, de paroles et d’actes médicaux qui vont toucher à l’intégrité physique et mentale des femmes ».Les violences gynécologiques et obstétricales sont caractérisées particulièrement par le non-respect de l'intimité et de la pudeur, le manque de respect pour les préférences et les désirs de la femme, l'absence de consentement des patientes, de choix et de diversité dans l’offre de soin, l'absence d’anesthésie efficace, de pratiques conformes aux données scientifiques, le manque d'information, l'exposition considérée comme excessive et humiliante du corps, entre autres.
Le docteur Oscar Jeanty, obstétricien et gynécologue, décrit les violences obstétricales comme étant tout acte posé à l'encontre des femmes par le personnel de santé (médecin, sage-femme, infirmière... ) durant le processus de la grossesse, de l’accouchement ou du post-partum, qui n’est pas justifié médicalement et/ou qui est posé sans recueillir le consentement éclairé ou sans respecter le choix ou la volonté de la patiente. "La violence obstétricale est un concept tout à fait subjectif, donc elle répond à tout ce qui a été vécu comme violent et inapproprié par la patiente", ajoute plus loin l'obstétricien.
Une étude réalisée par l’OMS montre que dans des pays à faible revenu, plus d’un tiers des femmes ont été victimes de mauvais traitements lors de leur accouchement. Il a été également prouvé que les femmes les plus jeunes et celles avec un niveau d'instruction relativement faible sont souvent les plus exposées à ce type de violence, pouvant aller de la violence physique et verbale, à la stigmatisation et à la discrimination, en passant par des interventions médicales effectuées sans leur consentement, l'utilisation de la force pendant les interventions, voire l’abandon ou la négligence par le personnel de santé.
En Haïti, cette forme de violence est très présente dans les milieux hospitaliers, mais il n'y a cependant pas de données permettant d'avoir une idée plus ou moins concrète sur la proportion de femmes qui en sont victimes. "Il existe en Haïti, des cas où des femmes se sont plaintes et ont signalé certains comportements discriminatoires et malfaisants venant de certains obstétriciens, cependant à ce jour, aucune procédure disciplinaire ou pénale n’a été engagée face à cette problématique" se plaint le médecin.
Différentes formes que revêtent les violences obstétricales
L'une des formes les plus fréquentes de violence obstétricale est le non-respect/l'absence du consentement éclairé des patientes, qui d'ailleurs, est la question prédominante en matière de VOG. Les personnes qui accouchent sont en droit d'être pleinement informées des procédures médicales qui vont être effectuées, de leurs avantages et de leurs risques, mais aussi de refuser ou de demander des alternatives. Il arrive parfois qu'au cours de l'accouchement, le personnel médical prenne des décisions sans consulter la patiente pour avoir son avis, sans prendre en compte sa volonté et le droit qu'elle possède sur son corps. Par rapport à cela, il faut prendre en exemple des interventions médicales telles que les cas de césariennes non nécessaires ou encore l'administration de médicaments sans indications médicales.
Il ne faut pas croire que les violences obstétricales et gynécologiques se réduisent à l'accouchement. Elles peuvent se produire tout au long des consultations prénatales et se poursuivre durant toute la période de la grossesse. L'une des formes les plus courantes de violence obstétricale que subissent les femmes en dehors de l'accouchement est le non-respect de l'autonomie. Or, chaque femme a le droit de participer activement aux décisions concernant sa santé et celle de son bébé.
Une autre forme courante des violences obstétricales est l'épisiotomie. L'épisiotomie est une procédure médicale assez souvent pratiquée lors de l’accouchement par voie normale, facilitant la naissance du bébé. C'est une incision chirurgicale à laquelle les obstétriciens/sage-femmes ont recours, et qui se fait au niveau du périnée, la région entre le vagin et l’anus de la femme en travail. Cette intervention a pour but d'élargir l’ouverture vaginale afin de permettre une sortie plus aisée du bébé.
Le point du mari.
À ces traitements considérés par la communauté scientifique comme peu commodes, s'ajoute une autre forme de violence : "le point du mari." Il consiste, après un accouchement avec épisiotomie ou déchirure, à recoudre le vagin d’une femme afin de le rendre « plus serré » qu’il ne l'était auparavant dans le but d'intensifier le plaisir du conjoint lors de la pénétration.
Les violences obstétricales dans les centres hospitaliers en Haïti
Comme dit tantôt, les cas de violences obstétricales sont récurrents. Elles prennent diverses formes. À titre d'exemple, le docteur Jeanty, dans un interview accordée à Banj Média, explique que certaines épisiotomies sont pratiquées sans indications obstétricales et/ ou sans le consentement éclairé des patientes et dans certains cas, elles sont pratiquées uniquement pour l’apprentissage des résidents et stagiaires. De plus, il faut compter :"les révisions utérines pratiquées sans analgésiques dans les salles d’accouchement et souvent avec brutalité, les abus physiques, les gestes brutaux" , poursuit-il. "Certains personnels de santé tapent/frappent parfois les patientes pour les forcer à écarter les jambes lors des accouchements", raconte l'obstétricien. Les femmes enceintes au moment de l'accouchement font aussi l'objet de violence verbale et de discrimination de la part du personnel soignant.
Des remarques amères sont parfois lancées à leur encontre. "Madanm ou fè twòp bri" "Madanm louvri pye w, sa k te voye w ?" Ce sont parmi tant d'autres, des phrases à caractère humiliant, insultant, que les soignants glissent aux femmes enceintes lorsque ces dernières mettent au monde leurs enfants. À cette liste, viennent s'ajouter les "césariennes sans indications médicales réalisées dans certains centres hospitaliers privés pour des raisons financières", confie le Dr Jeanty. Faut-il croire que le milieu obstétrique peut être une industrie rentable s'il est bien exploité ?
Carla Noël, mère d'un garçon de quatre (4) ans, dans un échange avec la rédaction de Banj Média, explique les étapes de son accouchement où elle a été l'objet d'actes qui s'apparentent à différentes formes de violence obstétricale. "Je me suis rendue à l'hôpital et une fois arrivée, les médecins m'ont laissé pour fournir des soins à d'autres patientes qui étaient venues bien après moi.. Ou poko gen doulè pou jan w ye a, lè w gen gwo doulè n ap vini" m'ont-ils dit" raconte la jeune mère. "Après l'accouchement, le médecin a voulu me recoudre parce que j'avais une déchirure disait-il, je lui ai dit que je n'en voulais pas, mais il ne m'a pas écouté et m'a quand même cousu. Le pire, c'est que c'était douloureux, j'ai senti la douleur d'une manière intense, comme si on ne m'avait pas administré d'anesthésie", se plaint Carla.
Dépression post-partum
La dépression post-partum, aussi appelée dépression postnatale, est une dépression qui survient après l’accouchement et qui touche entre 15 à 20 % des nouvelles mères. Aussi, après un accouchement difficile, environ 4 à 6 % des femmes sont susceptibles de vivre un trouble de stress post-traumatique, or, les violences obstétricales sont elles-mêmes antagonistes du stress post-traumatique chez les mères. Une étude menée par Leite et al. (2020), démontre que le manque de respect et la maltraitance lors de l'accouchement peuvent augmenter le risque de dépression post-partum.
Tour fait de la question, les violences obstétricales représentent un fléau jusqu'à date peu connu et qui ont un impact considérable sur la santé mentale et émotionnelle des patientes. Selon le docteur Jeanty, les conditions de travail précaires dans les hôpitaux engendrent des frustrations chez les personnels de santé. "La commercialisation de la médecine, plaçant l’intérêt du soignant au dessus de celui des patients et engendrant ainsi des comportements discriminatoires envers ces derniers, le manque d’empathie de certains personnels soignants, l’irresponsabilité ou tout simplement le manque d'éthique professionnelle font partie des quelques causes pouvant occasionner ce type de comportement envers les patientes.
Bernard CAYO
Source:
https://www.cairn.info/revue-sante-publique-2021-5-page-629.html
https://socup.fr/blogs/so-blog/violences-gynecologiques-et-obstetricales