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Education en temps de crise : L’école Haïtienne, une victime perpétuelle
Alors que l'accès à l'éducation est déjà difficile en Haïti, à chaque moment de crise, les écoles sont souvent victimes. Quand elles ne sont pas endommagées ou détruites, elles sont contraintes de fermer leurs portes. Et, de plus en plus, beaucoup d'apprenants sont privés du pain de l'instruction, notamment ceux qui sont forcés d'abandonner.
« La situation des droits de la personne en Haïti est marquée par une instabilité politique constante et une violence croissante, ainsi que par des niveaux élevés de pauvreté et la fréquence de catastrophes sociales et environnementales ». Il s’agit d’une remarque faite par la Commission Internationale relative aux Droits de l’homme durant ces dernières décennies. Si ce contexte si bien décrit par cette Commission rend difficile le respect et la promotion des droits humains, l’éducation n’en est pas exempte. Alors que l’accès à l’éducation est déjà difficile en Haïti généralement, en temps de crise, l’école haïtienne est souvent parmi les premières victimes.
La fragilisation des infrastructures scolaires
« Aujourd’hui, nous avons le problème de l’insécurité qui empêche le fonctionnement des écoles (non- accessibilité aux infrastructures). Cependant, nous avons connu le séisme du 12 janvier 2010 ainsi que de nombreuses tempêtes et les plus dévastatrices qui ont paralysé le système scolaire », souligne Witherson Dorval, éducateur interviewé par Banj Media. En effet, à en croire la Banque Interaméricaine de développement (BID), Haïti est un pays hautement vulnérable aux effets du changement climatique. Elle l’est, de par la diversité de facteurs qui aggravent sa vulnérabilité en ce sens : sa localisation géographique, le déboisement, la dégradation des sols, la faible capacité institutionnelle etc. Ce qui y favorise une plus grande récurrence de catastrophes naturelles.
Et, quand celles-ci se produisent, le système scolaire est à chaque fois fragilisé. Certaines fois, ce sont des établissements qui sont endommagés ou détruits. Le cas de nombreuses écoles suite à des catastrophes, tels le séisme du 12 janvier 2010, celui du 14 août 2021, la tempête Grace etc. A ces phénomènes naturels, s’ajoutent d’autres événements qui ont encore paralysé le système scolaire. Si en 2010, des écoles n’ont pas pu être opérationnelles suite au séisme, 10 ans plus tard, d’autres circonstances ont favorisé la fermeture des écoles. En 2020, pendant environ 6 mois, le pays était en période de confinement pour faire face au COVID-19. Et, les écoles ont dû fermer leurs portes.
La fermeture des établissements scolaires
La fermeture des établissements scolaires en Haïti est devenue de plus en plus fréquente. Pourtant, les causes diffèrent les unes des autres. « Une suite d’événements, malgré leurs dates et leurs contextes différents, ont une seule constante : la paralysie du fonctionnement du système scolaire en Haïti », souligne l’enseignant Dorval. En effet, selon UNICEF, « un million d’enfants ne sont pas scolarisés en Haïti en raison des troubles sociaux et de l’insécurité, du coût élevé de l’éducation, du manque de soutien aux plus vulnérables et de la médiocrité des services éducatifs, tandis que la violence contre les écoles devient rapidement une raison pour les parents de garder leurs enfants à la maison ».
Nombre d’écoles sont effectivement au cœur de foyers de violence ou dans la périphérie des zones à haut risque d’insécurité. Dans un article titré « Impacts de l’insécurité sur le fonctionnement des écoles dans les quartiers urbains « chauds » à Port-au-Prince entre 2018 et 2022 », Audyl Corgelas dresse un tableau de la situation. L’insécurité, découlant de la prédominance des gangs armés, provoque de nombreux troubles sociopolitiques (massacres, incendies, pillages, kidnapping) enregistrés dans certains quartiers au niveau de la région métropolitaine de Port-au-Prince, fait-il savoir. Il s’agit notamment de La Saline, Delmas 2 & 6, Bel-Air, Saint-Martin, Village de Dieu, Martissant, Grand Ravine et Fontamara.
Les inégalités scolaires provoquées par l’insécurité
Ces zones deviennent donc les plus marginalisées du pays en termes d’offre et d’accès à l’éducation. Les affrontements entre gangs armés y occasionnent des pertes humaines et matérielles. Aussi plusieurs écoles publiques et privées sont-elles contraintes de fermer leurs portes. Certaines d’entre elles deviennent même des foyers d’accueil des gens qui ont dû fuir leur maison suite aux menaces et/ou attaques de bandits. De Martissant à Fontamara (au sud de la Capitale), en passant par Gran Ravin (sur les hauteurs de Martissant), les activités académiques de presque toutes les écoles de la zone sont perturbées (CARDH, 2011). En fait, ces zones « de non-droit » ont, pour leur part, un accès réduit à l’éducation. Ce qui contribue aux inégalités sociales. Toutefois, depuis plusieurs années, le cours des événements exerce une emprise quasi-constante sur les activités académiques dans tout le pays.
Depuis 2018, le pays connaît un phénomène de mouvement social qui devient de plus en plus fréquent : le pays lock. Il s’agit d’une nouvelle dynamique de protestations qui ont pour la plupart du temps beaucoup d’incidences sur le système scolaire haitiens. Blocages de route, jets de pierre, tirs sporadiques, pillage d’entreprises,… Beaucoup d’outils et de moyens sont utilisés pour servir aux revendications. Toutefois, les conséquences ont été considérables pour le secteur éducatif : Difficultés de déplacement des élèves et du personnels, pertes de jours de classe, descolarisation, entre autres. En effet, depuis plusieurs années, les programmes académiques prévues par le Ministère de l'Education Nationale et de la Formation Professionnelle (MENFP) ne sont pas respectés. De même pour les calendriers scolaires.
Des alternatives ?
Ces jours de classe perdues, en les accumulant, valent une bonne partie de la vie des apprenants. C’est ainsi que des étudiants passent 5 à 7 ans dans des études en niveau licence de 4 ans. Et que des élèves ont des difficultés d'apprentissage à cause des ruptures répétitives. Ce ne sont, hélas, que des répercussions à court et à moyen termes. Aussi faudrait-il que les écoles pensent à rester opérationnelle même en temps de crise, y compris si c'est à distance. D'ailleurs l'éducation reste un droit fondamental humain. La Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, adoptée en 1948, est le premier instrument juridique à l’affirmer.
Cela dit, la convention relative aux droits de l’enfant exige aux Etats parties, dans son article 28, « d’assurer l’exercice de ce droit progressivement et sur la base de l’égalité des chances ». Ce qui impliquerait qu’« ils prennent des mesures pour encourager la régularité de la fréquentation scolaire et la réduction des taux d’abandon scolaire ». Si Haïti est un pays signataire de cette Convention, il est donc de son devoir de veiller à atteindre cet objectif, du moins pour le futur de la société.
Leila JOSEPH
Source
Situation des droits humains en Haïti, 2022, Commission Interaméricaine des droits de l’homme