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Pilier de l’économie haïtienne, les femmes haïtiennes sont aussi des “poto mitan” dans leurs familles. Elles sont nombreuses à concilier devoirs professionnels et responsabilités familiales. Un choix pourtant difficile car elles consacrent toujours beaucoup de temps à leurs tâches domestiques.
Jongler entre vie privée et vie professionnelle n’est pas une mince affaire. Pourtant, c’est un défi que relèvent nombre de femmes. « Premières à se lever… dernières à se coucher, cette expression courante pour rendre la démesure du travail des Haïtiennes comptabilise en fait pour chaque jour, deux journées de travail : celle de leur travail marchand et celle de leur travail domestique ». C’est ainsi que Mireille Neptune Anglade décrit la situation des femmes haïtiennes dans son article « Du travail domestique comme deuxième journée de travail des Haïtiennes ». En effet, celles-ci doivent arriver à joindre les deux bouts pour garder l’équilibre entre devoirs professionnels et responsabilités familiales. Quant aux mères de famille, leur charge est encore plus lourde. En plus du travail, elles s’occupent de l’éducation familiale, des soins ménagers et des devoirs conjugaux, s’il y en a.
« De la préparation des repas au nettoyage, en passant par la collecte d’eau et du bois de chauffage et par les soins apportés aux enfants et aux personnes âgées, les femmes assument au moins deux fois et demie plus de tâches ménagères et de services de soins non rémunérés que les hommes », fait savoir ONU Femmes. « Par conséquent, elles disposent d’un temps plus limité pour exercer une activité rémunérée ou travailler plus, en alliant travail rémunéré et non rémunéré ». En effet, beaucoup de femmes estiment trop considérables leurs charges à la maison pour y concilier un emploi. Toutefois, si certaines font le choix de se consacrer à leur foyer au détriment de leur vie professionnelle, d’autres essaient de jongler entre les deux. « Le retrait du système d’emploi au moment d’avoir des enfants et d’en prendre soin est peu fréquent si l’on en croit l’allure des courbes d’activité des femmes qui renvoie tendanciellement au modèle d’activité continue », affirme Nathalie Lamaute-Brisson.
Elle reconnaît cependant que l’exercice d’une activité économique à domicile ou à proximité de celui-ci, notamment en milieu urbain, est une option choisie par une forte minorité de femmes. Toutefois, afin de concilier, surtout quand elles ont des enfants en bas âge, leur principal alternative est la délégation de tâches. Il peut s’agir de « la délégation (partielle ou totale) de la responsabilité du travail des soins (tâches domestiques et garde des enfants) aux enfants, aux filles surtout, aux conjoints et aux « chaînes féminines » de prestataires de soins dans les familles élargies ou complexes ». Bien entendu, la classe sociale et le statut économique entrent parfois en ligne de compte. Selon leurs moyens, d’autres ont recours à des enfants domestiques, souvent non rémunérés, ou encore à des employés domestiques. Tout au plus, certaines femmes sont contraintes de s'occuper elles-mêmes de ces charges.
Elles sont nombreuses à abandonner leur travail dès qu’elles fondent une famille. Beaucoup le font sous l'interdiction du conjoint. D’autres par convictions personnelles découlant de certains discours et croyances, notamment ceux attribuant à la femme l’unique responsabilité de s’assurer de l’éducation des enfants et des soins de son mari. Comme le souligne Simone de Beauvoir, dans le tome 2 de son livre le Deuxième Sexe : « Les vraies actions, le vrai travail sont de l’apanage de l’homme… ». Pourtant, « la destinée que la société propose traditionnellement à la femme, c’est le mariage ». Et, au sein de son foyer, de nombreuses tâches domestiques sont attribuées à celle-ci : lessive, repassage, nettoyage, cuisine, etc. Selon les données d’une enquête du Conseil Economique et Social des Nations-Unies a réalisée auprès de 83 pays et régions, les femmes consacrent en moyenne trois fois plus de temps aux soins et travaux domestiques non rémunérés que les hommes. Il est clair que ces charges forcent beaucoup à se consacrer uniquement au foyer. Cependant, compte tenu de l’inflation galopante, de nombreux couples conjuguent leurs efforts pour subvenir aux besoins de la famille, quitte à ce que mari et femme travaillent.
« Il y a des femmes qui trouvent dans leur profession une véritable indépendance ; mais nombreuses sont celles pour qui le travail « au dehors » ne représente dans le cadre du mariage qu’une fatigue supplémentaire » affirme Simone de Beauvoir. « D’ailleurs, le plus souvent, la naissance d’un enfant les oblige à se cantonner dans le rôle de matrone ; il est actuellement fort difficile de concilier travail et maternité », ajoute t-elle. Ce qui est toujours d’actualité. Concilier travaux domestiques et devoirs professionnels n’est effectivement pas gagné d'avance d’autant plus que les charges domestiques ne sont pas réduites à coup sûr. Malgré leur emploi, les femmes doivent continuer à s’acquitter de toutes les activités de soins non rémunérées. Ils sont considérés comme des travaux de femmes. De plus, peu de valeur y est attribuée. C’est pourquoi en 2007, les femmes classées comme « personne au foyer » et se déclarant disponibles pour travailler réclamaient plus fréquemment (49.2 %) que leurs pairs masculins (32.9 %) – fort peu nombreux – la possibilité de travailler à temps partiel selon IHSI (2010).
Par ailleurs, ce n’est pas à tort que les femmes haïtiennes se font appelées des “poto mitan". Elles constituent le pilier de l’économie haïtienne, en dépit de tous leurs défis quotidiens. Selon Fred Doura (2018), « la femme haïtienne remplit un rôle essentiel dans la société haïtienne. D’une part, tout le commerce national repose sur ses épaules, puisqu’elle est au centre des activités commerciales des produits au niveau microéconomique. D’autre part, elle se retrouve souvent seule à assumer toutes les responsabilités dans l’éducation des enfants, en l’absence de l’homme dans la plupart des cas ». Beaucoup de femmes élèvent effectivement seules leurs enfants. Elles sont mères célibataires ou veuves. D'autres vivent avec un partenaire au chômage. Donc, c’est à elles de subvenir aux besoins de leur famille. Elles sont nombreuses à assurer la scolarité et même les frais d’université grâce à leurs activités professionnelles. « Pilier de l’économie haïtienne, la femme, souvent seule à faire vivre une famille entière, exerce toutes sortes de petits métiers. Outre l’agriculture, elles sont brodeuses, couturières, femmes de chambre », souligne Fred Doura, pour ne citer que cela.
Quoique plus d’un parlent de l’arrivée massive des femmes sur le marché à partir de 1960, une chose est certaine. « Les femmes ont toujours travaillé. On ne le dit pas assez, on ne le voit pas assez, on ne le voit pas vraiment et même, semble-t-il, on ne veut pas le savoir » déplore Sylvie Schweitzer dans son livre Les enjeux du travail des femmes. Notre réalité n’est pas moins différente. Haïti compte environ 11 millions de personnes sur son territoire et les femmes représentent 50,4 % de cette population selon les données de l’EMMUS VI (MSPP, 2017). Toujours est-il que leurs travaux, domestiques et formels, ne sont pas toujours valorisés et reconnus à leur juste valeur. Espérons quand même que l'objectif de développement durable des Nations Unies sur le genre, l’objectif 5, cible 4, soit respecté par les gouvernements et parties prenantes : « Faire une place aux soins et travaux domestiques non rémunérés et les valoriser, par l’apport de services publics, d’infrastructures et de politiques de protection sociale et la promotion du partage des responsabilités dans le ménage et la famille, en fonction du contexte national ».
Leila JOSEPH