Banj Media, est un média inclusif et alternatif qui s’adresse aux générations connectées. À travers nos missions, nous nous engageons à fournir à notre public des informations, des analyses, des opinions et des contenus captivants qui reflètent la diversité et les intérêts de la jeunesse haïtienne.
Journée internationale de sensibilisation au désarmement et à la non-prolifération : où en est-on en Haïti?
La situation sécuritaire s’aggrave en Haïti. Selon les chiffres de l’Organisation des Nations Unies datant de janvier 2024, environ 314.000 personnes en Haïti ont été contraintes de fuir leur domicile pour se réfugier ailleurs dans le pays. La situation sécuritaire en Haïti explique à elle seule, toute l’essence de la Journée internationale de sensibilisation au désarmement et à la non-prolifération.
La Journée internationale de sensibilisation au désarmement et à la non-prolifération est observée le 5 mars et a été adoptée le 7 décembre 2022. Selon l'ONU,” elle vise à accroître la compréhension du grand public sur la façon dont les efforts de désarmement contribuent à renforcer la paix et la sécurité, à prévenir et à mettre fin aux conflits armés et à réduire les souffrances humaines causées par les armes. “
L’ONU tente par cette journée, d’attirer l’attention des différents États sur la menace mondiale que représentent le commerce illicite et la prolifération d'armes légères et de petits calibres (ALPC). Les ALPC tuent sans distinction d'âge, de sexe, de religion ou d'ethnie, compromettant le droit fondamental à la vie et à la liberté. Les efforts pour lutter contre leur prolifération sont essentiels pour contribuer au bien-être mondial, car ces armes donnent à des groupes armés ou criminels le pouvoir de dicter la vie et la mort de nombreux individus, dans divers pays.
Une escalade de la violence en Haïti
S’il y a vraiment quelque chose à laquelle il faut mettre fin en Haïti, c’est sans doute aux conflits armés et aux violences causées par les armes. En une année seulement, le nombre de déplacés internes a doublé, rapporte L'UNICEF. La majorité étant des enfants (170.000) et des femmes. C'est une situation qui tend à évoluer dans le même sens puisque les mouvements de la population en quête de refuge se sont intensifiés au cours du mois de février.
De plus, au début du mois de mars, les actes de violence, de vandalisme et de trouble ont pris un nouveau pic. Le 2 mars, au cours de la nuit, et à la fin d’une journée de tensions dans plusieurs villes du département de l’Ouest, les deux plus grands centres pénitentiaires du pays à Port-au-Prince et à Croix-des-Bouquets sont attaqués. Des centaines de prisonniers sont évadés. Il y a eu également des dizaines de blessés et des morts au cours de ces attaques, amenant le gouvernement à décréter le dimanche 4 mars, l’état d’urgence sur le département pour les 5, 6 et 7 mars.
Une prolifération non contrôlée des armes en Haïti
Dans une étude, l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) explique que le manque de contrôle, de ressources et de personnel au niveau des douanes, des patrouilles frontalières et des garde-côtes d’Haïti, couplée à la non-protection sur la frontière avec la République Dominicaine offrent aux groupes armés un couloir privilégié pour faire circuler leurs armes et munitions.
Officiellement, il n’y a pas de statistiques sur le nombre ou les types d'armes à feu en circulation en Haïti. L’ONUDC cite un rapport de la Commission Nationale de Désarmement de Démantèlement et Réinsertion (CNDDR) publié en 2020, qui estime qu'il pourrait y avoir jusqu'à 500 000 armes légères dans le pays, soit le double de l'estimation rendue par l'ONU en 2020 et par la PNH en 2015. La grande majorité des armes en circulation en Haïti est considérée comme illégale.
Dans le même document, l’ONUDC rappelle que selon le Conseil Supérieur de la Police Nationale (CSPN), la PNH n'a enregistré que 38 000 armes à feu "légales" en 2015, soit moins de 15 % des 250 000 estimées à l'époque. Alors que la CNDDR parle de près de 45 000 sur les 500 000 de son estimation. Puisque officiellement et fort probablement le pays ne fabrique ni armes à feu ni munitions, pratiquement tous les nouveaux fusils, pistolets, chargeurs et balles entrant dans le pays sont importés légalement ou illégalement.
Impact des armes sur la sécurité en Haïti
L’ONUDC précise que les armes en provenance des États-Unis peuvent transiter par les ports des Caraïbes ou par des intermédiaires en République Dominicaine avant d'arriver à Haïti. Malgré l'embargo américain, certaines armes et munitions sont légalement importées par Haïti pour les forces de sécurité, mais le manque de surveillance entraîne parfois le détournement et la réutilisation de ces armes sur les marchés civils, voire leur revente sur des marchés secondaires, même quand elles sont destinées à la PNH.
Les armes sont une menace constante pour la sécurité interne en Haïti, explique l’ONUDC qui a indiqué que les homicides sont passés de 1,141 en 2019, à 2,183 en 2022. Au cours de la même période (2019 à 2022) 175 policiers ont été tués. En 2023, le nombre de personnes tuées a pratiquement doublé pour passer à 4700.
L’ONUDC met également en lumière, l’implication d’une partie de la diaspora haïtienne. Cette dernière participe dans les transactions d’armes et de munitions vers Haïti, profitant notamment de l’aspect économique du trafic des armes. Par exemple, des pistolets populaires vendus 400-500 dollars aux États-Unis peuvent être revendus jusqu'à 10 000 dollars en Haïti, et ces prix varient en fonction des préférences locales et de l'offre internationale. Des fusils de plus grande puissance tels que les AK47, AR15 et Galils sont généralement plus demandés par les gangs, ce qui leur donne des prix plus élevés.
Les efforts de l’Etat haïtien et le support de la communauté internationale
Parmi les initiatives de l’Etat haïtien qui devraient contribuer au désarmement, il y a la réactivation le 11 mars 2019 de la Commission Nationale de Désarmement de Démantèlement et Réinsertion (CNDDR). Mais 5 ans plus tard, la mission est loin d’être accomplie pour cette structure qui devait coordonner et appliquer la politique de l’Etat en matière de désarmement, de démantèlement des groupes armés et de réinsertion des individus désarmés.
Malgré l’urgence qu’il y a de cesser la dérive causée par les armes sur le tissu social, les réponses sont rares et n’ont que peu d’effets. De son côté, la communauté internationale promet de mettre en œuvre plus de dynamiques dans son soutien à Haïti pour éradiquer ce problème de la circulation non contrôlée du flux d’armes à feu sur le territoire.
Certaines opérations de saisie d’armes et de munitions de la PNH n’ont pour l’instant conduit qu’à peu de choses. Pour sa part, le Conseil de sécurité a adopté le 21 octobre 2022, puis renouvelé le 19 octobre 2023 un régime de sanctions ciblées visant ceux qui menacent la paix, la sécurité ou la stabilité en Haïti. Explicitement, il est sollicité à tous les États Membres de prendre des mesures nécessaires pour empêcher toute livraison à Haïti d’armes et de munitions.
L'ONU a renforcé la lutte mondiale contre la prolifération des armes légères et de petit calibre (ALPC) à travers des initiatives telles que le Programme d'action des Nations Unies et l'Instrument international pour le traçage des armes. Cependant, la mise en œuvre de ces mesures dépend du manque de ressources, et de politiques adaptées dans certains pays comme Haïti.
Il y a une relation directe entre la situation sécuritaire, les crimes commis, et le flux d’armes non contrôlé et détenu par les groupes armés qui terrorisent la population. Cela dit, la nécessité est d’agir sur la manière dont ces armes atteignent le territoire afin de stopper l’hémorragie, de reprendre le contrôle de celles qui sont en circulation pour enfin mieux redéfinir la stratégie sécuritaire sur le territoire.
Merck’n Sley Suprême Jean-Pierre
Références :
UNODC, “Haiti 's criminal markets: mapping trends in firearms and drug trafficking”, 2023
Haïti : L’escalade de la violence menace des millions de personnes | Human Rights Watch (hrw.org)