Banj Media, est un média inclusif et alternatif qui s’adresse aux générations connectées. À travers nos missions, nous nous engageons à fournir à notre public des informations, des analyses, des opinions et des contenus captivants qui reflètent la diversité et les intérêts de la jeunesse haïtienne.
La Corruption en Haïti: Un défi enraciné et insaisissable
Haïti est enchaînée par une corruption endémique, et difficile à éradiquer. Les rapports qui dressent le tableau de la corruption sont nombreux, le constat est net : la république d’Haïti est incapable de se libérer de ce piège qui dure très longtemps. La dernière publication de l’Indice de Perception de la Corruption pour l'année 2022 indique qu’Haïti est classée 171 sur 180 pays, avec un score de 17 sur 100, c'est-à-dire le huitième pays le plus corrompu de la liste. Malgré les évidences, les actes de corruption restent impunis sur le territoire haïtien.
Nous sommes en 2023, sur le plan politique Haïti n'est pas en ébullition comme c'était le cas en 2021 où une bonne partie de la population et plusieurs acteurs de la classe politique s'unissaient derrière le même discours, celui qui prône le changement du système en place, qu'ils qualifient de pourri. Non, rien n'a changé depuis, sinon la classe politique qui se retrouve désormais plongée dans un sommeil aussi profond que le marasme dans lequel le pays se trouve. Les indicateurs économiques et sociaux ne mentent pas, au pire, ils ne présentent probablement qu'une partie de l’iceberg, la raison? Certains chiffres sur la santé économique, sur la pauvreté, sur le sous-développement se basent sur des données qui n'ont pas été actualisées depuis plusieurs années.
Entretemps, les actes de corruption à grande échelle n'ont pas cessé de multiplier ces 30 dernières années. Hormis les écarts comme les escroqueries et les rackets dans les couloirs de l’administration publique tous aussi corrosifs pour un pays malade, les grandes dilapidations sont elles aussi devenues une mode, une étiquette qu'on peut facilement coller au cou de chaque nouveau gouvernement. Parmi les actes de corruption les plus spectaculaires du dernier trentenaire, impossible de ne pas citer le gaspillage des fonds pour la reconstruction après le séisme de 2010 le CIRH, et la dilapidation des fonds PetroCaribe.
Même dans les moments les plus sombres, les dilapidateurs haïtiens et étrangers n'ont pas chômé, au contraire, ont profité pour porter de plus regrettables préjudices à une population complètement dépouillée. Le 12 janvier 2010 Haïti a subi l’une des plus grandes catastrophes naturelles de l’histoire du monde. Un tremblement de terre de magnitude 7.3 a secoué le pays, particulièrement la capitale Port-au-Prince, la ville la plus peuplée. Les dégâts humains et matériels sont énormes on parle de plus de 230.000 morts, plus de 300.000 blessés, et près de 8 milliards de dollars en pertes matérielles. La communauté internationale est venue apporter son aide dès le soir même du drame.
Devant le flux des dons de toute part, la CIRH a été mise au point dans le cadre de la conférence internationale des donateurs à New York, le 31 mars 2010. La Loi d’Urgence du 16 avril 2010 scelle la création de cette commission, mais tout son objectif est resté dans son appellation « Commission Intérimaire pour la Reconstruction d’Haïti (CIRH) ». Pour relever les défis liés à la transparence et à la responsabilisation dans le cadre de la mise en œuvre du « Plan d’Action pour le Relèvement et le Développement National (PARDN) », cette structure a été conçue pour assurer une coordination efficace et une allocation judicieuse des ressources. Loin s'en faut, c'est le gaspillage qui a gagné au détriment de l'État d’Haïti que ces fonds étaient destinés à reconstruire.
Entre 2016 et 2017, la commission éthique et anti-corruption du Sénat Haïtien a produit deux rapports avec pour objectif de mettre en évidence des irrégularités du programme PetroCaribe. Pour rappel les fonds PetroCaribe sont le fruit d'un accord entre le Vénézuela et autres pays caribéens notamment Haïti qui l'a signé le 15 mai 2006, ratifié par l’Assemblée Nationale le 29 août 2006.
Cet accord, à l’origine, prévoit la fourniture à Haïti d’au moins sept mille (7 000) barils de pétrole par jour ou leur équivalent énergétique destiné à la consommation locale. Ainsi, les ressources provenant de la vente des produits pétroliers entre 2008 et 2016 devaient servir à développer le pays. Mais au lieu d'être utilisées à bon escient, les sommes faramineuses ont été fumées, ne laissant que de la poudre aux yeux avec des projets annoncés en grande pompe, et une dette de plus de 4 milliards de dollars pour une économie qui rampe.
Ces prévarications suscitées sont évaluées à coup de milliards de dollars, mais à l'échelle nationale on peut aussi compter en gourdes d’autres histoires de corruption sur d'énormes tableaux. Le scandale des coopératives en 2002, détournements de chèques à la Caisse Assistante Sociale (CAS), des prêts démesurés et irréguliers octroyés à d’anciens parlementaires et des hommes d’affaires à l’Office Nationale d’Assurance-Vieillesse (ONA), détournements de fonds à la Loterie Nationale, les scandales de corruption au Parlement, au sein des différents Ministères ou des Municipalités et d'innombrables autres épisodes.
Le 15 novembre dernier, l'Unité de Lutte Contre la Corruption (ULCC) a rendu public un énième rapport, indexant cette fois plusieurs anciens fonctionnaires de l'État. Sur le plan pénal, l'ULCC recommande l'engagement de poursuites judiciaires à l'encontre d’anciens parlementaires, d’anciens maires et délégués et d'autres personnalités qui font l'objet d'accusations de détournement de biens publics selon l'ULCC.
Ces faits ne font que démontrer comment la corruption demeure incontestablement un fléau persistant en Haïti . Aucune époque du passé haïtien ne semble exemptée de la présence indélébile de la corruption. Depuis ses débuts, l'État haïtien doit lutter contre cette gangrène, qui favorise l'enrichissement facile et les pratiques illicites. Bien que certains dirigeants aient tenté sporadiquement de rétablir l'ordre dans l'Administration publique, la situation demeure inchangée jusqu'à ce jour. Ce fardeau a souvent compromis et compromet encore le projet de développement du pays, contribuant significativement à la situation de pauvreté qui afflige la population.
En effet, comme le relate le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), on estime que plus de 6 millions d’Haïtiens vivent en-dessous du seuil de pauvreté avec moins de 2,41 USD par jour, et plus de 2,5 millions sont tombés en-dessous du seuil de pauvreté extrême, vivant avec moins de 1,23 USD par jour. D’autres données de la Banque Mondiale présentent des côtés encore plus sombres de la situation socio-économique du pays. La corruption est devenue au fil du temps l'un des maux les plus profondément enracinés au sein de l'Administration publique haïtienne.
Malgré l'évidence du poids pesant de la corruption sur le sous-développement d’Haïti, les punitions sont rares. Ni la petite corruption ou corruption bureaucratique, qui implique la participation d'agents de l'administration publique et de représentants non élus, ni la grande corruption qui se produit aux échelons supérieurs du gouvernement et qui a lieu lorsque les politiciens et les agents du gouvernement qui se voient confier l'exécution des lois, sont eux-mêmes corrompus.
Comme le déplore la Banque Mondiale, la corruption est un obstacle majeur au développement, elle nuit le plus aux pauvres et aux personnes vulnérables, augmentant les coûts et réduisant l'accès aux services de base, et même de la justice. Elle exacerbe les inégalités et réduit les investissements privés au détriment des marchés, des opportunités d'emploi et des économies. La corruption compromet la réponse aux situations d'urgence, entraînant des souffrances inutiles, et la mort dans le pire des cas. La corruption a déjà sapé la confiance que les citoyens accordent à leurs dirigeants et à leurs institutions, créant des tensions sociales et augmentant dans certains contextes, le risque de fragilité, de conflit et de violence.
Il existe différentes instances qui ont leur implication dans la lutte contre la corruption en Haïti parmi lesquelles, l’Unité de lutte contre la corruption (ULCC), la Commission Nationale des Marchés Publics (CNMP), l’Unité Centrale de Renseignements Financiers (UCREF), le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ), la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif (CSCCA), le Ministère de la justice et de la Sécurité Publique et le Parlement. Mais nombreux sont les fautifs d'actes de corruption qui ne sont pas punis. Les années 2022 et 2023 ont été particulièrement marquées par les actions de la communauté internationale par le biais des États-Unis, du Canada et des Nations Unies, prononçant des sanctions contre certains acteurs politiques, accusés d'alimenter la violence et l'insécurité en Haïti par la corruption et d'autre crimes.
Si Haïti ne parvient toujours pas à redresser la barre, la corruption en est pour quelque chose. En effet, en 2021 l’organisation Human Right Watch a tiré la sonnette d'alarme pour faire remarquer que l’indépendance de la justice en Haïti est menacée. La relation entre la politique et la justice est étreinte, au point que la première étouffe la deuxième. Les membres de l'appareil judiciaire font face à de nombreux problèmes d'ordre structurel et ne peuvent accomplir correctement leur mission.
Sur la partie Ouest de l’île d’Haïti, la corruption s'est profondément enracinée, formant un nœud complexe et difficile à défaire. Son caractère nucléaire, présent à divers niveaux de la société, représente un défi de taille dans la quête de transparence et de bonne gouvernance. Malheureusement, les efforts pour la réprimer et la punir se heurtent à des obstacles considérables. La lutte contre la corruption en Haïti nécessitera une approche multifacettes, impliquant l'engagement ferme des autorités, le renforcement des institutions, et une sensibilisation accrue au sein de la population. Malgré ces défis, la persévérance dans la lutte contre ce fléau demeure cruciale pour le développement durable et l'émergence d'une société plus équitable.
Merck'n Sley Suprême Jean-Pierre