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Le paradoxe de la domination masculine : Entre privilèges et pressions
Beaucoup s’accordent pour dire que le patriarcat privilégie les hommes au détriment des femmes, ce qui n’est pas faux. Cependant, la domination masculine a son revers de la médaille. Les hommes aussi en sont victimes, quoique sournoisement.
Le patriarcat s’est longtemps dressé comme un tableau sur lequel les femmes sont des victimes et les hommes, des bourreaux. Il n’a pas cessé de mettre les hommes sur un piédestal au détriment des droits des femmes. D’un côté, les hommes jouissent toutes sortes de privilèges et d’avantages sociaux et économiques, étant naturellement en position de domination. De l’autre, les femmes sont chosifiées, cloisonnées et limitées, compte tenu de leur position de deuxième sexe si l’on se tient à l’expression de Simone de Beauvoir. Ce qui correspond tout-à-fait au schéma de la domination masculine. Une domination qui a mis les femmes à genoux dans presque tous les domaines de leur vie, jusqu’à les faire subir toutes sortes de violence et d’inégalités. Toutefois, « si les femmes, soumises à un travail de socialisation qui tend à les diminuer, à les nier, font l’apprentissage des vertus négatives d'abnégation, de résignation et de silence, les hommes sont aussi prisonniers, et sournoisement victimes, de la représentation dominante » affirme le sociologue Pierre Bourdieu dans son livre La domination masculine .
Le revers de la médaille
En fait, le patriarcat est un système basé sur le pouvoir et la domination des hommes sur les femmes. Celles-ci sont considérées comme des êtres inférieurs et faibles. Il est donc évident que ce système a beaucoup été favorable aux hommes. Cette domination semble faire de ces derniers les champions de l’histoire. Chef de famille, chef au travail, chef partout ! Et avec, une meilleure éducation, de meilleurs salaires, de meilleurs postes, de meilleurs traitements… Les femmes, elles, sont désavantagées à tous les niveaux. Ce faisant, on pourrait croire que le patriarcat ne fait du tort qu’à celles-ci et que les hommes n’en tirent que leurs avantages. Pourtant, le patriarcat a son revers de la médaille. Sournoisement, il opprime également le genre masculin. Il n’est en réalité l’ami de personne, contrairement à ce que l’on pourrait penser. Il ne cause que des dégâts, tant pour les femmes que pour les hommes..
Le double tranchant de l’épée patriarcale
« Le privilège masculin est aussi un piège et il trouve sa contrepartie dans la tension et la contention permanentes, parfois poussées jusqu'à l'absurde, qu’impose à chaque homme le devoir d’affirmer en toute circonstance sa virilité ». Cette affirmation de Bourdieu montre clairement qu’outre les profits, la domination masculine génère ses exigences, voire ses pressions aux hommes. En effet, depuis l’enfance, le genre masculin reçoit de sa famille, ses parents surtout, des suggestions et des recommandations par rapport à comment il devrait être en tant que garçon. La socialisation du garçon tourne autour de sa virilité : les jeux auxquels il doit jouer, les tenues à porter, ce qu’il doit aimer ou pas. Si cela ne correspond pas au portrait du genre masculin qu’on lui tend, il peut recevoir tout propos, nom discriminant ou farouche. Le plus commun, c’est qu’on le fasse sentir qu’il n’est pas comme un homme, quitte à lui cracher à la figure qu’il est une femmelette et même un homosexuel. Et, cela peut aller de détails comme sa façon de parler, de s’asseoir ou de se comporter à sa façon d’être et de paraître.
L’attitude masculine
Dès le bas âge, l’homme apprend les codes de pouvoir et de domination. Un homme doit être fort physiquement, lui dit-on. Un homme, cela ne doit pas pleurer. Un homme, cela ne doit pas exprimer ses émotions et sentiments. C’est ainsi qu’il se forge et grandit, toujours dans cette quête de se prouver et de prouver au monde sa virilité. Or, selon Bourdieu, « la virilité, entendue comme capacité reproductive, sexuelle ou sociale, mais aussi comme aptitude au combat et à l’exercice de la violence (dans la vengeance notamment), est avant tout une charge ». D’où le fait que les hommes [...] soient « conditionnés à adopter une attitude masculine compétitive, inexpressive, contraignante, qui cause les dégâts à la fois sur le plan physique et sur le plan psychique, inhibant l’expression de leur « moi» authentique » (Segal, 1997 : 68). D’ailleurs, l’histoire montre clairement que les hommes ont toujours été ciblés d’office pour se rendre à la guerre. Ils doivent tuer et/ou mourir pour leur patrie. Se défendre et défendre les autres semble être une mission qu’on leur attribue dans la famille, le couple, le pays etc.
Le coût de la virilité
« Ce qui semble résumer la virilité, c'est la notion de pouvoir : pouvoir sur soi, pouvoir sur le monde, pouvoir sur les femmes, apparence de pouvoir », affirment Georges FALCONNET et Nicole LEFAUCHEUR dans le texte La fabrication des mâles. « C'est à cela qu'encouragent et la famille, et l'école, et les mouvements de jeunesse, et le service militaire; bref tout ce qui fait l'éducation des garçons. C'est aussi ce qu'illustrent toutes les représentations culturelles y compris, et très évidemment, la publicité », ajoutent-ils. En effet, cet homme fort présenté même dans les publicités, les films et romans inspire la virilité. De là découlent les nombreuses attentes vis-à-vis du genre masculin. Il doit répondre à divers diktats. Il doit dominer sur tout et surtout sur les femmes. Il doit être un chef de famille, pourvoyeur. Il doit donc gagner plus. Il doit être toujours au haut de l’échelle.
Par ailleurs, on apprend à l’homme à occulter ses sentiments et émotions. Ce qui n’est pas sans répercussions sur sa santé mentale. A ce sujet, dans son livre Le coût de la virilité, Lucile Peytavin s’interroge sur les coûts des comportements virils. Elle met en question cette éducation qui promeut la force, le goût du danger et de la domination. Ce qui est légitime quand on constate que le taux de mortalité masculin est de loin élevé par rapport à celui des femmes. Et, la mortalité des hommes découle principalement de conduites à risque au volant, dans une bagarre ou à cause de l’alcool. En 2019, l’OMS fait savoir que : « Le taux mondial de suicide standardisé pour l’âge était plus élevé chez les hommes (12,6 pour 100 000) que chez les femmes (5,4 pour 100 000) ».
Les pressions sociales
En Haïti, les exigences sont nombreuses pour un homme. Pourtant, l’instabilité socio-économique n’épargne personne. Malgré la montée de l’inflation et la cherté de la vie, les exigences ne baissent pas pour les hommes. Posséder terre et maison, avoir assez d’argent pour acheter sa bague et demander la main d’une fiancée, se marier et subvenir aux besoins de sa femme et des ses enfants… Tout cela met beaucoup d’entre eux en constante pression vis-à-vis de la société. Cela peut même affecter leur santé mentale, s’ils estiment ne pas répondre aux critères, exigences ou obligations qu’on leur attribue. Le cas de nombreux jeunes hommes actuellement.
« L’homme doit quitter son père et sa mère et s’attacher à sa femme » enseigne la Bible. Toutefois, la réalité de beaucoup de familles contraint beaucoup de jeunes hommes à rester vivre chez leurs parents malgré leur vie adulte. Qu’ils atteignent la trentaine ou plus, ils ne peuvent pourtant pas laisser le “confort” familial pour aller fonder leur propre foyer. D’ailleurs, beaucoup dépendent encore de leurs parents. Ce qui certainement leur causera des frustrations, d’autant plus que la société exige parfois même une tranche d'âge idéale pour fonder son foyer. Encore au foyer, il reçoit des pressions de sa femme et de ses enfants, parfois même des familles. A lui de prendre en charge les frais et dépenses de sa femme, de ses enfants, de sa famille. En somme, la domination masculine a son prix. Et, les coûts ne sont pas uniquement économiques.
Leila Joseph