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Un nouveau Vendredi Culturel s’est tenu au local de la Banque Interaméricaine de Développement (BID) à Bourdon, le vendredi 1er décembre 2023. Les discussions étaient articulées autour de la thématique de l’Artisanat Haïtien avec un sujet qui interpelle « Comment mettre l’artisanat haïtien sur le marché international ? ». Pour tenter de répondre à cette interrogation, diverses personnalités ayant une implication directe ou indirecte sur le secteur de l’artisanat ont été invitées à cette activité qui a été conduite par l’éditeur en chef du quotidien Le Nouvelliste, Frantz Duval.
Le « Vendredi Culturel » est un rendez-vous mensuel organisé par la BID, pour donner la parole à des personnalités du pays, sur des sujets d’intérêts économiques, technologiques, sociétaux et autres. Cette dernière édition de l'année 2023 visait surtout à éclairer la lanterne des différentes personnes qui ont suivi l’activité en ligne ou en présentiel, sur la place de choix dont les producteurs haïtiens pourraient jouir sur le marché international, si les dispositions nécessaires ont été prises en ce sens. Le choix du sujet fait également le lien avec Artisanat en Fête qui se tiendra les 9 et 10 décembre prochains.
Le modérateur de cette activité Monsieur Frantz Duval a conduit un panel hybride avec des intervenants en présentiel et d'autres à distance. La Représentante de la BID en Haïti Corinne Cathala a cité les propos de bienvenue avant de laisser la place aux différents panélistes : Sandra Rousseau directrice de SANDILOU, l’économiste et diplomate Peterson Benjamin Noël, Gwendoline Darguste détentrice d'une maîtrise en marché des capitaux, le designer et chocolatier Ralph Leroy Prophète, et Michel Patrick Boisvert actuel Ministre de l’Économie et des Finances, qui ont intervenu à tour de rôle sur un angle particulier du sujet.
Dans son intervention, Sandra Rousseau a présenté un tableau très sombre de la situation de l’artisanat en Haïti « On est en train de disparaître au point de vue artisanal » s’est-elle alarmée. Selon les chiffres recensés par un groupe d’exportateurs artisanaux et qu’elle a cités, avant l’embargo imposé à Haïti par les États-Unis entre 1991 à 1994, près de 40 conteneurs de 40 pieds de produits artisanaux ont été exportés par semaine. Après l’embargo, le flux de l’exportation est réduit considérablement jusqu'à environ 5 conteneurs par mois désormais. Elle a ajouté que de 5000 artisans affiliés à ce même groupe d'exportateurs, le nombre est passé à moins de 500 après l’embargo. « Certains artisans ont laissé le pays, d'autres ont été contraints de changer de secteur d'activité ou n'étaient plus intéressés car l'artisanat n'était plus rentable » a-t-elle indiqué.
De plus, la diplômée en art s’est plainte de l'environnement haïtien qui est en train de perdre de son caractère inspirant pour les créateurs. La directrice de SANDILOU qui identifie la Caraïbe comme un marché ouvert, intéressé et proche d’Haïti, plaide pour une évolution de l’artisanat « Il faut de nouveaux designs, de nouvelles technologies de production pour passer du stade de l'artisanat de boutique à un artisanat de masse ».
L'exportation des produits haïtiens vers les pays de la Caraïbe est confrontée à un obstacle, Peterson Benjamin Noël a expliqué : « Haïti a suivi les exigences légales, comme la signature du traité de Chaguaramas, pour participer dans le Marché et Économie Uniques de la CARICOM, mais certaines exigences administratives ne sont pas respectées comme l’adoption du tarif extérieur commun de la CARICOM, et l'émission du certificat d'origine pour les produits haïtiens ». Il a surtout précisé que le marché caribéen fonctionne selon le principe de la réciprocité, c'est-à-dire que pour bénéficier certains avantages, Haïti doit adopter des mesures administratives facilitant l’échange avec les autres pays de la CARICOM.
L’ancien ambassadeur d’Haïti auprès de la CARICOM a indiqué que les créations artistiques haïtiennes présentes sur le marché caribéen ont surtout emprunté une voie informelle. Cependant il a souligné qu’entre 2010 et 2016, Haïti avait bénéficié d'une préférence non réciproque lui permettant d'exporter certains produits malgré le non-respect des dispositions administratives imposées par le traité de Chaguaramas. Le diplomate croit qu'il y a beaucoup d'opportunités au niveau de la Caraïbe, c'est au gouvernement de prendre les mesures qu'il faut pour que les créateurs haïtiens bénéficient des ouvertures offertes par le Marché et Économie Uniques de la CARICOM.
De son côté Ralph Leroy Prophète, le propriétaire de la Chocolaterie Macaya, une entreprise présente en Haïti et à Montréal, n’a pas oublié les nombreux défis surtout sécuritaires, auxquels il a dû faire face avant de pouvoir établir son entreprise. Avant de pouvoir exporter son Chocolat, le designer a expliqué ses difficultés : « Pour obtenir le certificat phytosanitaire ou pour le renouveler c'était toujours très difficile… ». Il s'est également pleint du coût de transport aérien très élevé proposé en Haïti. « On doit travailler de sorte qu'on arrive à un consensus ou on doit arrêter cette politique de survie » a-t-il conseillé.
Malgré la multitude des moyens de paiement qui existent dans le monde, il se pose encore le problème des transactions électroniques au sein de l'économie haïtienne. Madame Gwendoline Darguste a abordé ce sujet en rappelant que la Banque de la République d'Haïti (BRH) est la garante du système de paiement en Haïti. Elle a également rappelé qu'il existe plusieurs lois qui portent sur les paiements alternatifs, ou prestataires de service de paiement en ligne. La directrice a informé que « Parmi les perspectives de la Banque Centrale en vue de rendre l'écosystème de paiement haïtien plus efficient, on travaille sur l'accréditation des systèmes de paiement. Les autorités travaillent également sur l'élaboration de la loi du système de paiement qui vise à standardiser les opérations des prestataires de service ainsi que de faciliter leur relation avec les prestataires étrangers. » a informé le chef du service de la dette externe à la direction des affaires internationales de la BRH.
« Le secteur artisanal est très important pour le pays bien que les artisans évoluent majoritairement dans le marché informel [...] En Haïti le secteur informel représente pratiquement 35% de notre PIB, travailler avec les artisans aidera à réduire la part de ce marché informel » a avancé Michel Patrick Boisvert au début de son intervention. Il a pointé du doigt un manque de communication, et a cité en exemple plusieurs considérations de l'État haïtien que les artisans ignorent : « Dans le décret de 1987 sur la patente, il y a des dispositions qui sont prises pour exonérer les entreprises qui existent dans ce secteur du droit fixe de la patente… Ces exonérations ont été reprises par la loi des finances de Juin 1996. Le code des investissements de 2002 prévoit des exonérations fiscales et douanières pour les entreprises et coopératives artisanales, et le délai de ces exemptions pouvait aller dans le temps jusqu'à 15 ans. Mais faute de communication, seulement 6 sociétés ont pu bénéficier des avantages incitatifs du code des investissements ».
Le Ministre de l’Économie et des Finances a fait mention d'autres mesures qui ont été prises pour venir en aide aux petites et moyennes entreprises avec la loi du 12 mai 2020 sur le crédit bail. Il a annoncé de nouvelles dispositions pour le secteur artisanal : « À partir du budget 2024-2025, il y aura une considération budgétaire, qui visera à venir en aide au secteur artisanal ». Mais pour cela, il encourage les artisans à se regrouper en association afin de mieux bénéficier de l'accompagnement de l’État. Il a annoncé également l'entrée en vigueur au 1er octobre 2024 du Code Général des Impôts, un document qui reprend certaines des dispositions contenues dans le Code des investissements de 2002, comme les congés fiscaux accordés aux entreprises du secteur artisanal. « On doit travailler pour construire la résilience du secteur artisanal » a-t-il martelé.
Entre les propos des panélistes, et les réactions des personnes présentes, cette édition du Vendredi Culturel a donc passé au peigne fin la situation de l'artisanat haïtien. Comme l'a souligné le titulaire du Ministère de l’Économie et des Finances, c’était une véritable exposition des défis auxquels sont confrontés les artisans haïtiens. La résolution des problèmes qui empêchent l'expansion internationale de l'artisanat n'est pas pour maintenant comme l'a expliqué les différents intervenants, mais les enjeux doivent être adressés au cas par cas, avec l'implication de toutes les autorités et les institutions concernées.
Merck'n Sley Suprême Jean-Pierre